Hossam Al-Madhoun
« Je vous écris de Gaza sous les bombes » publié chez Editions du Cerisier
Textes écrits, entre le 10 octobre et le 28 décembre 2023
Hossam est un des 50 artistes qui ont contribué au livre de Jonathan Daitch « Voix du théâtre en Palestine ». (cf rubrique théâtre)
Vous pouvez trouver les textes suivants sur la page facebook de Jonathan Daitch
29 mars 2024 (texte lu le 6 avril 2024)
Que nous reste-t-il ? Que reste-t-il de nous ?
Des os recouverts de peau et de vêtements sales et bon marché, des visages non rasés depuis des semaines, une marche involontaire au ralenti, la tête baissée, des mains et des visages sales, des pieds d'enfants sans chaussures. Le désespoir est évident, il est si clair et si épais qu'il remplit l'air, tout le monde peut le sentir, le humer, le toucher. Le désespoir se déplace en contrôlant l'atmosphère. Comme si je devenais une créature vivante, en criant fort, je l'emporte. Il n'y a de place que pour moi, le désespoir.
Que nous reste-t-il ? Une armée d'occupation brutale, sauvage et meurtrière sur une terre condamnée.
Des hommes brisés, des femmes vaincues, des enfants détruits. Pas de passé, pas d'avenir, mais le présent, le moment présent, la survie, si possible, mais certainement pas la vie.
Est-ce là le peuple de Gaza ? Suis-je l'homme que j'étais ? Ai-je vécu ? Pendant 55 ans ? Ai-je passé de bons et de mauvais moments comme tout être humain ? Suis-je tombé amoureux ? Suis-je allé à la plage et y ai-je passé du temps libre ? Ai-je bu un verre de bon vin avec des amis bien-aimés ? Suis-je devenu père et ai-je ressenti toutes ces vagues d'émotions ? Ai-je ressenti la tranquillité d'avoir ma propre maison après 30 ans de dur labeur ? Ai-je voyagé, rencontré de nouvelles personnes et profité de nouveaux endroits ?
Je sais que oui, j'étais en Belgique en mai dernier, en Suède et en Jordanie. Je sais que j'ai passé de bons moments avec de nouveaux et d'anciens amis, je sais que j'ai été très heureux de rencontrer mon ami Jonathan après 11 ans d'absence, je sais que j'ai eu beaucoup de plaisir à escalader une montagne.
Mais pourquoi est-ce que je ne ressens plus rien ? Pourquoi les souvenirs reviennent-ils sans sentiments, même les souvenirs tristes sont sans sentiments ? Que m'est-il arrivé ? Quelle partie de moi a été volée ? Je me sens lourd, très lourd, je me déplace lourdement, je respire lourdement. Je porte un cœur très lourd. J'ai mal à l'intérieur de ma poitrine.
Que reste-t-il de moi ? Le reste d'un être humain. Que reste-t-il de nous ? Quelques os recouverts de peau et peut-être d’un peu de sang dans les veines. Pas d'âme. Pas de vie. Juste vivant jusqu'à nouvel ordre.
Quelques heures après avoir envoyé ce texte, Hossam a écrit :
"Chers ami-es,
Après le dernier article sombre que j'ai écrit
je me dois de vous dire ceci :
Hier, j'ai éprouvé des sentiments très sombres
Je n'arrivais pas à contrôler une dépression complète,
Mais je peux vous dire maintenant que je vais bien, c'est derrière moi.
Les ondes d'amour que je reçois de vous tous m'ont ramenée à la vie.
Je suis vivante, je suis là, je vais continuer.
Je n'abandonnerai pas
Je ne laisserai pas les princes des ténèbres me vaincre.
Amour et espoir"
le 2 avril 2024 il écrit :
Sisyphe
Imaginez que vous deviez vivre la même vie avec les mêmes détails, les mêmes émotions, le même mouvement, la même odeur, la même atmosphère, comme un film d'une minute, répété encore et encore comme une sorte de métaphore de la vie de Sisyphe.
Nous savons tous qui était Sisyphe, et qu'il a été condamné à faire rouler éternellement une pierre du bas vers le haut d'une montagne, pour la voir redescendre au moment où il atteint le sommet.
Ajoutez à cette histoire que chaque fois qu'il pousse la pierre, Sisyphe perd une partie de son corps ; il perd un doigt, un morceau de peau, une main, un œil, une oreille....
C'est ce qu'est devenue la vie des Palestiniens de Gaza : se réveiller chaque jour, se déplacer partout à la recherche d'un colis d'aide alimentaire, d'une tente à construire pour s'abriter, ou vendre des produits alimentaires recyclés provenant de l'aide alimentaire, et essayer d'assurer un repas pour la famille.
Cela se répète encore et encore, encore et encore. Mais aussi, chaque jour, ils perdent une partie de leur corps, ils perdent des membres de leur famille, des amis, des maisons et de l'espoir. Ils perdent chaque jour la plus belle partie de leur corps, ils perdent leurs enfants.
Et l'armée barbare israélienne, qui se croit devenue Zeus, ne fait que jouir des résultats de l'horreur qu'elle a créée de ses propres mains.
Hossam 28 mai 2024 "Quand cela suffit"
Hossam 2 juin 2024 "Manque d'espoir"
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